L’arrestation de Fortunat Biselele, dit « Bifort », suivie du remaniement du cabinet présidentiel dont il était un pivot, augure un changement de cap de la part de Félix Antoine Tshisekedi.

La source révèle les coulisses de cette séquence politique et de l’enquête menée par les services congolais.

Fortunat Biselele, alias « Bifort », et son chargé de mission, Pacifique Kahasha, qui sera libéré dans la foulée. Dans le même temps, le chef de l’Etat signe l’ordonnance de remaniement de son cabinet. Seul son directeur de cabinet, Guylain Nyembo, est mis dans la confidence et a ordre de garder le secret. Le lendemain, Félix Tshisekedi s’envole pour la Suisse où il était attendu au Forum économique mondial de Davos.

A bord de l’avion, avec lui, se trouvent plusieurs de ses conseillers, dont Pacifique Kahasha, son secrétaire particulier Taupin Kabongo, et son conseiller spécial en matière d’investissements, Jean-Claude Kabongo, dit « JCK ». Ils ignorent tout de la restructuration en cours au sommet de l’Etat, et n’osent pas poser de questions au président. A l’atterrissage, ils découvrent avec stupéfaction la nouvelle composition du cabinet, dont ils ne font plus partie. JCK tente vainement d’aborder le chef de l’Etat. Il est prié de quitter la délégation congolaise. Taupin Kabongo se résigne à prendre un vol pour Bruxelles. Bifort, lui, est toujours retenu dans les locaux de l’ANR.

Plaintes et mises en garde

A l’origine de ce bouleversement au sein du premier cercle du chef de l’Etat, il y a d’abord des mises en garde sur l’affairisme présumé de certains conseillers. Elles sont formulées notamment par le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, lors de son entretien avec Félix Tshilombo en août 2022. Encore sceptique, ce
dernier veut des preuves et charge en toute confidentialité une frange de l’ANR, dirigée par Jean-Hervé Mbelu Biosha, de démarrer des enquêtes. Les comptes en banque de certains conseillers du président sont passés au crible en RDC.

En ce début d’année 2023, des patrons d’entreprises minières profitent des
présentations de vœux pour s’entretenir avec de hautes autorités. Plusieurs d’entre elles, dont Sicomines, société à capitaux majoritairement chinois  évoquent des difficultés à composer avec certaines autorités et à satisfaire les demandes financières de conseillers présidentiels. Parmi les
personnalités citées : l’ambassadeur itinérant du chef de l’Etat, Dany Banza, Bifort et JCK. Ce dernier s’est immiscé, avec Bifort, dans la plupart des grands dossiers d’affaires, s’imposant comme un interlocuteur incontournable des opérateurs
économiques

Les plaintes des miniers, étayées par des cadres de la Gécamines, remontent jusqu’à Jacques Tshibanda Tshisekedi, qui abhorre ces conseillers spéciaux perçus comme dangereux pour son frère aîné, le président. Leurs pratiques auprès des opérateurs miniers sont confirmées par l’ANR, qui dispose d’un agent dans la plupart des sociétés considérées comme stratégiques. Le chef de l’Etat en est discrètement informé et épluche les dossiers bancaires, de même que les
montages financiers analysés par ses services. Quelques soupçons d’enrichissement se confirment.

Liens avec Kigali

Des renseignements permettent de compléter ces notes d’analyse financière. Si les comptes bancaires congolais de Bifort sont étonnamment crédités de quelques centaines de milliers d’euros seulement, c’est que le conseiller privilégie le cash, selon des sources de l’ANR.

A l’enquête financière s’ajoute un volet sécuritaire.

De longue date, Bifort est suspecté de collusion avec le pouvoir rwandais de Paul Kagame. Autrefois cadre de la rébellion du RCD (Rassemblement du Congo pour la démocratie) soutenue par le Rwanda, qui l’a formé au renseignement, il a mis à profit cette relation pour tenter de rapprocher Kinshasa de Kigali au début du mandat de Tshilombo. On lui prête une certaine proximité avec le numéro 1 du renseignement rwandais, le général Joseph Nzabamwita, et l’un des conseillers de Kagame, Patrick Karuretwa.

Ses bonnes relations avec Kigali ont toutefois pâti de son rôle dans la tentative de rapprochement fin 2021 avec l’Ouganda de Yoweri Museveni.
Alors que le Tout-Kinshasa bruissait de rumeurs sur les liens de Bifort avec le régime de Kagame, Félix Tshilombo est longtemps resté sourd aux évaluations des risques émises par ses propres responsables des services. A commencer par celles exprimées par François Beya, son ancien chef du Conseil national de sécurité (CNS) qui, après avoir voulu empêcher une affaire de Bifort, s’est retrouvé accusé de complot contre le chef de l’Etat.

En ce début d’année, le chef de l’Etat évite Fortunat Biselele, ne le prend plus au téléphone et se méfie. Ses interrogations sur la loyauté de son conseiller privé..

Méfiance accrue

deviennent intenables après un entretien de Bifort avec Alain Foka, journaliste de RFI, diffusé sur la chaîne YouTube de ce dernier le 6 janvier. Ses propos équivoques sur un présumé deal entre Tshisekedi et Kagame, pour que celui-ci
joue de son « carnet d’adresses » pour faire venir des investisseurs en RDC, surprennent le Tout-Kinshasa. Jean-Hervé Mbelu Biosha, le patron de l’ANR, réputé hostile au Rwanda et à ses relais supposés en RDC, poursuit ses
investigations.

Selon plusieurs sources sécuritaires, des agents de l’ANR ont perquisitionné les domiciles de Bifort à Goma et à Kinshasa, ce que dément toutefois la famille de l’intéressé. D’importantes sommes d’argent en espèces de l’ordre de plusieurs millions de dollars auraient été retrouvées dans sa luxueuse maison à Kinshasa, près du palais de Marbre, dans la commune de Ngaliema. Les services de sécurité seraient également tombés sur un passeport rwandais en cours de validité. Près d’une semaine après son arrestation, Bifort se trouve toujours entre les mains de l’ANR.

Les agents congolais ont également saisi les téléphones et ordinateurs de l’ex-conseiller privé. Leur analyse technique aurait mis au jour des éléments prétendument compromettants sur sa relation avec Kigali.

Personnalités de confiance

Le chef de l’Etat, qui estime avoir été trahi, a purgé son cabinet et écarté une partie de ses conseillers. Dernier des témoins de l’accord signé avec Joseph Kabila fin 2018 à être encore en fonction, Bifort se retrouve subitement dépourvu
d’influence et d’avenir politique. Un message clair adressé à ses troupes, à ses partenaires politiques et à son gouvernement. Mais aussi à ses compagnons de route depuis le début du mandat, tels que Dany Banza, l’ambassadeur itinérant désormais chargé de mission pour l’intégration régionale, et en perte d’influence.

Ce nouveau cabinet, le chef de l’Etat l’a recentré sur des personnalités de confiance, dont la fidélité a été éprouvée. Il a privilégié des parents, à l’instar de son nouveau secrétaire particulier, Bony Mwamba Kitambila, et surtout de son
frère, Jacques Tshibanda Tshisekedi, nommé coordonnateur de sécurité interne au sein des services personnels du chef de l’Etat. On retrouve également Paul Mundela et Michel Mulumba, tous deux nommés assistants spéciaux de Félix
Tshilombo et membres de la famille.

Pour le poste de Bifort, Tshilombo a jeté son dévolu sur Kahumbu Mandungu Bula, dit « Kao », jusque-là coordonnateur exécutif du bureau de coordination de suivi du projet du port de Banana.

Ce dernier est d’ailleurs réputé être le maître d’œuvre du partenariat conclu courant janvier entre Kinshasa et Abou Dhabi, qui permettra le transport d’or « certifié » entre les deux pays.
Selon nos informations, la restructuration du cabinet présidentiel, notamment au niveau de sa direction, devrait se poursuivre dans les prochaines semaines.

Guylain Nyembo et son adjoint chargé des questions économiques et financières,
André Wameso, restent toutefois en fonction dans l’attente du retour du voyage du président en Europe, puis aux Emirats arabes unis, et du remaniement du gouvernement. Olivier Mondonge Mugabe, un ami proche du président auprès duquel il a une influence notable, a été nommé directeur de cabinet adjoint, chargé du progrès social.

En ce qui concerne la diplomatie régionale, Serge Tshibangu est maintenu en fonction. Son poste a un temps été convoité par Claude Ibalanky,
considérablement affaibli par son passé d’affaires avec Zoé Kabila et ses initiatives non concertées de négociations avec les rebelles du M23. Il a été limogé cette semaine de la tête du Mécanisme national de suivi de l’accord-cadre d’Addis-Abeba (MNS).

Par Gédéon Ngango

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