Alors que les musiques urbaines, le rap et le RnB contemporain, dominent les plateformes de streaming et les classements de ventes de disques, son image semble devoir être constamment écornée par les médias classiques.

« Yaka Nakamura », puis « Ava Nakamura », ou encore « Ayana Nakamura ». Tout au long de la remise des prix des NRJ Music Awards, qui s’est tenue le samedi 10 novembre au Palais des Festivals de Cannes, l’artiste Aya Nakamura a vu son prénom être écorché de toutes parts durant la soirée. Ce qui ne devait être qu’une simple erreur des présentateurs (Nikos Aliagas, qui l’avait appelée « Yaka Nakamura » s’est par la suite excusé sur Twitter) s’est ensuite mué en véritable polémique. L’artiste, passablement énervée, n’a pas manqué de réagir dans un tweet, qu’elle a supprimé par la suite.

Ce tweet a mis le feu aux poudres et a fait réagir Cauet, animateur de la radio NRJ, qui diffuse une grande part de musique urbaine. « Même moi, quand on l’a reçu au tout début, j’ai regardé à deux fois pour ne pas écorcher son nom. Je pense aussi qu’elle était énervée parce qu’elle n’a rien eu ». De nombreux animateurs de télévisions et autres émissions n’ont pas tardé à alimenter cette polémique, à l’image de Matthieu Delormeau, qui s’est moqué de la chanteuse « Ce n’est pas Elton John non plus ».

Voir des personnes telles que Cauet ou Matthieu Delormeau, dont le public est en majorité des 12-18 ans, se moquer d’une artiste dont le public est aussi composé en grande partie de 12-18 ans montre bien le fossé qui sépare l’artiste en question des médias diffusant sa musique. Voir Aya Danioko de son vrai nom subir ce manque de considération de la part de ces personnages connus de la jeunesse est un phénomène particulier, quand on sait que l’artiste cumule des millions de vues sur ses clips sur Youtube (son hit, « Djadja », grimpe à 229 millions de vues), que son dernier album est bientôt disque d’or, et que le médias américains commencent à s’intéresser au phénomène.

Le rap-bashing au goût du jour

Voir un média traiter un sujet de rap est rarement une bonne nouvelle pour cet univers musical. En effet, malgré quelques exemples louables (article du journal Le Monde sur Kery James retraçant sa carrière, articles traitant de la conférence du rappeur Fianso à Sciences Po Paris), quand le rap est évoqué dans les médias généralistes, c’est bien souvent en mal. Omniprésent dans les charts (47 des 100 albums présents dans le top album au 15 novembre 2018 sont des albums de rap), le rap est cependant un genre musical qui, historiquement, peine à faire l’unanimité. La façon dont le rap est présenté dans les médias reste cependant très stéréotypée. Alors que le rap est un outil historiquement contestataire, son côté violent est le plus médiatisé. Ce traitement reste à nuancer, tant on a vu à quel point depuis quelques années les interventions de rappeurs à la télévision, à la radio ou en presse écrite se multiplient. On a pu voir respectivement les rappeurs Damso, Fianso, Disiz La Peste ou encore Moha La Squale être invités par Augustin Trappenard dans l’émission Carte Blanche sur France Inter. Le journal Quotidien invite régulièrement des rappeurs et artistes de musique urbaines dans son émission. Malgré toutes ces améliorations, lorsque le rap fait la une des médias, c’est qu’un artiste fait polémique, comme cela a été le cas concernant le concert de Médine au Bataclan.

Ainsi, la bagarre qui a éclaté entre les deux rappeurs Booba et Kaaris a été décryptée et détaillée dans les moindres détails par toute la presse nationale. Le procès des deux artistes a connu une couverture médiatique et populaire rarement vue dans ce milieu. Ce fâcheux évènement a alors été considéré par la plupart des journaux comme une triste vitrine reflétant bien la violence présente dans cet art de rue qu’est le rap. Les médias spécialisés sur le sujet ont fait bloc et n’ont pas souhaité répondre aux nombreuses sollicitations qu’ils ont pu recevoir. Le tweet de Fif, co-fondateur du média spécialisé rap Booska P, résume bien la situation.

Bonjour Sylvain, personne ne s’exprimera sur l’affaire #BoobaKaaris Par contre si vous faites un sujet sur les disques d’or et de platine qui pleuvent dans le Rap Français ou un autre sujet qui permet de comprendre comment fonctionne notre industrie nous viendront avec plaisir. https://t.co/M2uIvAdJM5

— Fif de B⭐️⭐️SKA-P (@Fif2Booskap) August 4, 2018

Par la même occasion, les journalistes spécialistes du rap invités et qui se sont exprimés quant à cette affaire ont subis les foudres de leurs pairs. Pendant une longue période précédant la rixe, tout rappeur étant invité dans l’émission d’un média généraliste pouvait s’attendre à coup sûr à une question sur le sujet, bien que l’artiste n’ait rien à voir avec cela. L’artiste se retrouve donc à devoir débattre sur des sujets qui ne le concernent pas directement, au lieu de faire la promotion de sa musique.

Autre exemple, le morceau “Cougar gang” du rappeur sevranais Kalash Criminel, qui devait initialement être inclus dans son album “La fosse aux lions” sorti le 23 novembre dernier n’est finalement pas inclus dedans. Dans le morceau, Brigitte Macron est directement citée. Le principal intéressé s’en est expliqué dans une interview pour le site Melty : “ J’ai eu des problèmes puisque apparemment l’Elysée s’est plaint à la maison de disques que le morceau était trop polémique etc. Du coup, la maison de disques, sans mon accord, a décidé d’enlever le son de mon album”.

Les interviews lunaires de Thierry Ardisson

Thierry Ardisson est, à l’instar de Michel Drucker et de son canapé rouge, une des têtes de gondole de la télévision, et ce depuis un long moment. Il est l’animateur de plusieurs émissions, dont Salut Les Terriens, émission qui invite des artistes, auteurs, écrivains, hommes politiques et autres personnalités. De nombreux artistes de musiques urbaines ont été invités dans les émissions animées par Thierry Ardisson, sans que leur retour d’expérience soit bon pour autant.Ainsi le rappeur originaire de Vitry Kery James, légende vivante de son art dévoilait en 2015 lors d’une interview pour LFM Radio, comment il s’était senti trahi après son passage dans l’émission « Tout le monde en parle » en 2001. A l’époque, alors que le rappeur vient de sortir son 2ème album, nommé « Si c’était à refaire », qui parle de sa conversion à l’Islam, Thierry Ardisson lui confronte Taslima Nasreen, qui a fait l’objet d’une fatwa pour ses positions anti-islam. Le rappeur avait expliqué sur la chaîne de radio : « On est dans l’organisation d’un truc contre les musulmans, et moi je suis obligé de me positionner contre elle. Mais comme Taslima Nasreen est positionnée comme une victime, j’apparais donc comme un oppresseur : c’était ça le piège qu’il m’avait tendu ».

Entre temps, de nombreux artistes se sont présentés sur le plateau du présentateur, avec plus ou moins de réussite. Du côté des échecs, on retiendra les passages du rappeur Siboy, caricaturé par tout le plateau à cause de sa cagoule, et à qui aucunes questions concernant sa musique n’auront été posées, ce qui est pour le moins original pour un artiste venu faire sa promotion. Puis, vient l’interview du rappeur du 93, Vald. Alors que l’artiste est présenté comme l’invité « OVNI » de l’émission, il n’aura droit qu’à six minutes qui lui seront consacrées. Tous les clichés possibles seront alors présentés sous forme de questions, qui n’ont souvent aucun rapport avec la musique (à part la question stéréotypée « Tu es le Eminem blanc ? »). Les questions s’enchaînent, et le fossé se creuse entre l’invité, visiblement mal à l’aise, et ses interlocuteurs. On lui parle de son frère, converti à l’Islam, de ses premiers rapports sexuels, ou alors de sa couleur de peau.

Le rappeur originaire d’Aulnay-Sous-Bois n’a pas tardé à réagir par la suite avec une vidéo publiée sur son compte Instagram. La radio Mouv’ s’est aussi étonnée du fait que les questions posées à Vald étaient sensiblement les mêmes que celles posées à l’artiste Orelsan, passé dans l’émission quelques temps avant.

Un fossé générationnel qui se creuse

Alors que les musiques urbaines sont plébiscités chez les jeunes, la génération d’avant semble y être réticent, du moins la génération d’animateurs présents à la télévision. Les clashs sont légions entre chroniqueurs et artistes, et ne risquent pas de disparaître. L’aversion d’Eric Zemmour pour le rap a donné lieu à des séquences cultes « Le rap est une sous culture, d’analphabète » avait déclaré l’écrivain à la radio. Un roman pourrait être écrit, relatant les différents clashs d’Eric Zemmour avec des artistes de musiques urbaines. Dans le traitement concernant les musiques urbaines, il semble que les médias traditionnels se montrent critiques la plupart du temps à l’égard de ce genre musical (à quelques exceptions près), jouant sur ces clashs en question entre chroniqueurs pour faire de l’audience, alors que les nouveaux médias, omniprésents sur les plateformes digitales, vont avoir un rapport bien plus amical avec les artistes. Voir un artiste être invité chez Quotidien pour faire la promotion de son album relève désormais de la banalité, tout comme une interview de l’artiste par Konbini. Preuve que les médias d’aujourd’hui ont compris que la musique urbaine, deuxième genre musical le plus écouté en France et premier genre musical le plus écouté sur les plateformes de téléchargements en France en 2018 intéresse les gens, et fait vendre. Au contraire, les anciennes générations de journalistes présents dans les médias ne semblent pas s’intéresser à ces genres. Pour reprendre l’exemple du rap, il est fréquent d’entendre quelqu’un expliquer qu’il a grandi avec NTM, et que le rap de maintenant ne véhicule aucun message. Si cet argument est recevable, il faut aussi expliquer que le rap, popularisé par cette génération qui le renie désormais, était au début porteur d’un message fort, avec pour étendards de toute une génération, les groupes IAM et NTM. La diversification dans les genres de rap prouve bien que bien que cette musique soit toujours porteuse de nombreux messages, il n’est plus obligatoire qu’elle soit contestataire. En bref, il est possible d’écouter un morceau de rap, sans que ce morceau ne dénonce quoi que ce soit, mais juste qu’il raconte une histoire ou la vie de l’artiste. L’écart entre ces deux générations de fans de rap crée alors beaucoup de différences et peut expliquer le manque général de considération des médias généralisés pour les musiques urbaines.

A titre d’exemple, il aurait été difficile de voir Nikos Aliagas écorcher le nom du mythique rappeur marseillais Akhenaton, sans qu’une polémique alimentée par un grand nombre de personnalités publiques prenant la défense du rappeur éclate, à l’inverse de ce qu’il s’est passé pour « Ayana Nakamura ». L’apparition d’un nouveau phénomène musical mettant tout le monde d’accord serait peut-être propice et amènerait sans doute un grand changement de mentalité.


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