Le rassemblement de groupuscules d’extrême droite du week-end du 12 août, à Charlottesville, dans l’est des Etats-Unis, a fait un mort et plusieurs blessés.
Mais il a aussi donné lieu à une chasse aux sorcières sans précédent sur les réseaux sociaux. Des internautes cherchent à identifier les militants d’extrême droite qui participaient à la manifestation, pour ensuite diffuser leur prénom et leur nom, associés à leur photo. Une pratique discutable et propice à l’escalade.
Logan Smith, ne s’est jamais caché d’être le propriétaire du compte Twitter @YesYoureRacist. « Oui tu es raciste », c’est ce qu’il répond depuis 2012 aux tweets qui commencent par : « Je ne suis pas raciste, mais… » A l’époque, il dit vouloir lutter contre le racisme ordinaire, en pleine expansion sur les réseaux sociaux à la suite de l’élection du premier président noir américain à la Maison Blanche, Barack Obama.
Mais l’investiture puis la victoire du républicain Donald Trump à la présidentielle ont libéré la parole de la droite alternative (« alt-right ») américaine. L’ancien milliardaire a toujours entretenu des liens assez ambigus avec cette droite extrême, qui l’appuie pour partie : il ne s’est prononcé qu’à demi-mot sur le soutien que lui avait publiquement apporté le leader du Ku Klux Klan pendant la campagne, et rechigne à condamner explicitement les suprémacistes blancs auteurs de violences à Charlottesville.
Depuis ce week-end le compte Twitter @YesYoureRacist a donc passé la vitesse supérieure, multipliant par presque cinq son nombre d’abonnés. Aujourd’hui suivi par près de 400 000 personnes, le deuxième compte de Logan Smith diffuse dorénavant le nom des participants de la manifestation de l’ultra-droite de Charlottesville. « Je n’avais jamais fait ça auparavant,explique l’intéressé. Mais en même temps, je n’avais jamais vu autant de nazis défiler avec leurs drapeaux dans mon pays. »
« Je ne suis pas le raciste enragé que les gens voient sur cette photo »
Tout commence par un message retweeté près de 70 000 fois, où Logan Smith demande aux twittos, via @YesYoureRacist, photos à l’appui : « Si vous reconnaissez certains de ces nazis qui défilent à Charlottesville, envoyez-moi leur nom ou leur profil et je les rendrai célèbres. »
’est sur un mode collaboratif que s’organise alors la traque, comme l’explique Logan Smith : « Toutes les identités que j’ai révélées, je l’ai fait sur la base de suggestions. Des gens m’aidaient et me disaient « ce type était dans ma classe à l’université », « ce type j’ai fait mon collège avec », « celui-là est un suprémaciste très connu dans ma ville ». »
Certaines des personnes reconnues ont essayé de se justifier, comme cet étudiant d’une université du Nevada (ouest des Etats-Unis) dont la photo a fait le tour du monde, qui a témoigné auprès de plusieurs télés : « Je ne suis pas le raciste enragé que les gens voient sur cette photo […] Tout ce que je fais, c’est défendre les valeurs d’une Amérique blanche. »
Plus grave : plusieurs personnes ont été identifiées par erreur par les internautes. Logan Smith a publié, avant de le retirer en s’excusant, le nom de quelqu’un qui n’était pas présent à la manifestation. Une erreur de ce type a aussi poussé un jeune homme à fuir son domicile à cause des insultes et des menaces qu’il recevait, alors même qu’il n’était pas présent à la manifestation de Charlottesville, comme le relève le site d’information Slate, citant plusieurs médias américains.
Internet, paradis du « doxing »
Le fait de révéler sur internet des informations sur une personne a un nom : le « doxing ». Ce terme anglais, construit à partir de l’abréviation de « document » (« dox »), a été étudié par David Douglas, chercheur australien qui a consacré un article au sujet. Pour lui, il existe plusieurs types de doxing. D’une part, « la désanonymisation, qui consiste à donner un nom et des détails personnels qui permettent de d’identifier une personne. » Ensuite, cette « désanonymisation » peut mener à un « doxing de ciblage, qui revient à donner des informations qui permettent de localiser la personne, physiquement, ou comme étant membre d’une organisation particulière par exemple. »
Comme le remarque David Douglas, le doxing, initialement utilisé par des communautés de hackers, a aussi été récupéré par les mouvements politiques d’extrême droite et d’extrême gauche. Cette pratique « concerne surtout des gens qui n’ont pas énormément de moyens par ailleurs. Ils se sentent vulnérables vis-à-vis des autres groupes, et c’est une façon de se défendre, d’exercer une sorte de pouvoir sur ceux d’en face, de les faire se sentir menacés. »
Logiquement, les réseaux sociaux et la constitution de communautés en ligne – la droite alternative américaine est par exemple solidement organisée sur internet, avec de nombreux médias, forums de discussions, etc. – facilitent la collaboration dans la recherche d’informations sur une personne. « D’autant que sur internet, c’est de plus en plus facile d’obtenir des informations sur les gens, même si l’anonymat est la règle et qu’il donne l’impression d’être intouchable », remarque David Douglas.
« J’ai supprimé un tweet avec de potentielles informations personnelles »
Alors que cette pratique est le plus souvent utilisée pour nuire ou faire pression sur quelqu’un, peut-on caractériser comme du doxing le fait de révéler la présence d’une personne à une manifestation publique ? Quand il s’agit d’une personne qui a déjà exprimé publiquement ses opinions, sûrement pas, comme le fait remarquer dans un tweet le journaliste américain du Washington Post Dave Weigel. Mais pour quelqu’un qui cache à son entourage ses convictions, ou qui ne les assume pas, la question se pose.
L’abbé