Avec plus de 3 400 cas et 2 200 décès depuis le début de la 10e épidémie dans l’est du pays il y a près de deux ans, le pays est confronté à la deuxième plus grande épidémie d’Ebola de son histoire. Pour y faire face, le gouvernement congolais a compris l’importance d’investir dans des systèmes de santé plus solides et des mécanismes de surveillance plus fiables. Ce combat contre Ebola montre combien il est difficile de venir à bout de ce type d’épidémie.

Le professeur Jean-Jacques Muyembe, virologue de renommée internationale pour avoir découvert le virus Ebola en 1976 et actuellement en charge de la riposte Ebola et COVID-19 en RDC, répond à nos questions.

Que retenez-vous de ces deux années de combat contre le virus Ebola et comment en tirer parti pour éradiquer la pandémie de COVID-19 ?

Nous pensions pouvoir annoncer la fin de la 10e épidémie de virus Ebola le 13 avril 2020. Malheureusement, deux jours avant, un nouveau cas a été détecté à Beni. Les équipes ont dû se remobiliser sur le terrain pour faire face à la résurgence de l’épidémie. Entre-temps, nous avons eu un premier cas de COVID-19 à Kinshasa le 10 mars. Pour l’instant, l’épidémie de coronavirus se concentre essentiellement dans la capitale, Kinshasa, avec seulement quelques cas dans les provinces de l’Ituri, du Nord et du Sud Kivu, dans le Kwilu, le Haut-Katanga et le Kongo central.

Je pense que dans les provinces de l’est, les acteurs vont pouvoir appliquer les leçons de leur expérience de la lutte contre la maladie à virus Ebola. Cela s’est déjà vérifié par la rapidité avec laquelle les autorités ont réactivé tous les mécanismes que nous avions mis en place dans le cadre d’Ebola : le système de surveillance et le système de communication pour mobiliser la population et obtenir l’engagement des communautés. Nous sommes davantage préoccupés par les provinces de l’ouest qui sont moins préparées. La pénétration du virus dans ces régions pourrait causer beaucoup de dégâts. Mais, globalement, nous sommes optimistes. La RDC est en mesure de digérer cette épidémie de COVID-19.

Justement, dans la lutte contre le virus Ebola, certaines mesures ont marché, d’autres non. Quels conseils donneriez-vous aux autres pays sur les écueils à éviter dans ce genre d’épidémies ?

Il ne faut pas crier victoire trop tôt. Ce n’est pas parce que nous avons fait des progrès notables dans la bataille contre Ebola, qu’il faut croire que cela sera facile de gagner la bataille contre le COVID-19. Mais nous pouvons voir des similitudes dans les stratégies de riposte.

Nous avons vu que la communication de proximité et les campagnes de sensibilisation sont essentielles pour que la population comprenne la gravité de la situation et qu’elle s’engage. Et dans ces efforts de mobilisation, les organisations à assise communautaire, les chefs traditionnels et leaders d’opinion jouent un rôle primordial. La population doit prendre conscience de l’existence de cette maladie et comprendre comment l’éviter et ne pas la transmettre.

L’autre élément important, c’est de tenir compte du contexte spécifique et des coutumes de chaque pays dans l’application des mesures adoptées par les autorités publiques. Le mode de vie des Africains est parfois différent de celui des autres cultures. Nous devons en tenir compte pour ajuster nos stratégies de lutte contre le COVID-19, que ce soit pour l’application du confinement ou la pratique de la distanciation sociale. Une leçon importante à tirer des actions de la lutte contre Ebola est que les équipes d’intervention doivent également collaborer avec les chefs traditionnels dès le début, car ils sont des points d’accès essentiels aux communautés.

Un des défis de l’épidémie d’Ebola aura été d’apporter une aide d’urgence dans des provinces fragiles, en proie à l’insécurité. Dans un tel contexte, comment renforcer le système de santé et soutenir l’action des équipes d’intervention en première ligne ?

La plupart des systèmes de santé en Afrique sont très fragiles et des épidémies comme Ebola ou le COVID-19 ne font qu’aggraver cette réalité. Ce que nous avons compris au fil de nos expériences antérieures, c’est que, pour réussir, nos stratégies de lutte contre les épidémies en général, et contre Ebola en particulier, doivent s’ancrer dans les systèmes de santé existants et être renforcés lorsque l’épidémie survient. C’est essentiel. Ne pas le faire contribue à affaiblir le système national de santé.

Enfin, un autre point extrêmement important dans la gestion des situations d’urgence sanitaire, c’est de garantir un leadership national dans la réponse, reconnu par tous et appuyé par tous les partenaires.

Quel a été le soutien de la communauté internationale à la réponse à Ebola ? Et qu’attendez-vous des partenaires au développement dans la riposte contre le coronavirus en RDC ?

La lutte contre le virus Ebola à l’est de la RDC a été une démonstration exemplaire de l’importance des partenariats. Chacun a joué son rôle. L’OMS a pris en charge la surveillance épidémiologique et la vaccination, les Nations Unies ont assuré la logistique, le transport et la sécurité. La Banque mondiale a mobilisé les financements nécessaires d’un montant de près de 300 millions de dollars pour, d’une part, appuyer la stratégie de riposte Ebola, notamment le financement des soins de santé primaires et l’approvisionnement des médicament essentiels dans les zones touchées par le virus et, d’autre part, apporter une assistance technique à l’équipe de coordination et au système de santé. Nous étions tous engagés, chaque institution en fonction de son domaine d’expertise et de son avantage comparatif, et nous avons tous travaillé ensemble pour arriver à des résultats probants.

Dans le cadre de la riposte contre le COVID-19, nous avons mis en place un plan évalué pour l’instant à 135 millions de dollars dont près de 75 % sont déjà mobilisés. Je remercie infiniment les partenaires qui nous aident dans ce contexte difficile. La crise sanitaire du COVID-19 est redoutable parce que les pays qui nous aident habituellement sont eux-mêmes confrontés à la pandémie. À cela, s’ajoutent les difficultés liées par exemple à la suspension des vols ou la fermeture des frontières qui ne facilitent pas l’approvisionnement rapide en matériel médical de protection. Ce sont des défis que nous devons relever et qui appellent l’implication de tous.

Par ailleurs, cette crise sanitaire se transforme très vite en crise économique et sociale à cause du confinement, de la diminution des échanges entre pays, de la hausse des denrées de base et de la baisse des recettes. Nous avons proposé un plan qui sera principalement basé sur la subvention de l’accès aux services sociaux de base comme la santé, l’alimentation et l’appui du secteur informel, qui représente plus de 80 % de l’économie congolaise, par des microcrédits. Pour cela, nous allons sans doute avoir besoin de ressources supplémentaires sous forme d’appui budgétaire pour relancer l’économie. D’où notre appel à des partenaires techniques et financiers comme la Banque mondiale pour nous aider dans cette démarche qui viendrait aussi renforcer l’initiative mise en place par le chef de l’État avec la création d’un fonds de solidarité.

Nous avons vu avec l’épidémie d’Ebola, et nous voyons avec la pandémie du COVID-19, circuler de nombreuses rumeurs et infox, notamment sur les réseaux sociaux. Comment peut-on mieux communiquer pour limiter ces fausses informations et aider le public à mieux décoder l’information ?

Les réseaux sociaux sont à double tranchant. Dans le cadre de l’épidémie d’Ebola à l’est du pays, ils nous ont bien aidé à percevoir la réaction du public pour savoir en temps réel comment est-ce que nos messages étaient compris. Malheureusement, les réseaux sociaux véhiculent également de fausses informations qui se propagent rapidement dans l’opinion et perturbent beaucoup la riposte.

Le meilleur moyen d’y faire face, à mon humble avis, c’est d’abord d’investir nous-mêmes ces espaces en développant des plateformes multimédias crédibles, dynamiques et populaires et, d’autre part, en mettant en place des équipes de professionnels pour traquer ces infox, les dénoncer et les rectifier en temps réels. De la même manière que nous combattons le virus, nous devons combattre ces fausses informations parce que la riposte épidémique doit être basée sur des informations fiables et scientifiquement prouvées.


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