Les États-Unis et la Russie discuteraient d’un éventuel échange de prisonniers. La Russie serait prête à échanger deux Américains contre un Russe. Mais pas n’importe quel Russe. Il s’agit de Viktor Bout, célèbre marchand d’armes au destin digne d’un roman et qui a vécu un temps en Belgique. Portrait d’un seigneur de guerre.

Pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a rencontré vendredi son homologue russe Sergueï Lavrov. Ils ont discuté de l’éventuelle libération de la basketteuse américaine Brittney Griner et du citoyen américain Paul Whelan, qui sont emprisonnés en Russie. Washington n’a pas encore communiqué de détails sur la nature de l’offre, et ne parle pas non plus d’un échange de prisonniers. Les médias russes ont cependant précédemment rapporté qu’un échange était en préparation entre la basketteuse et Viktor Bout, un marchand d’armes russe notoire, mais mystérieux. Il existe ainsi toujours des doutes sur son identité, son nom et même sa nationalité. La vérité la plus probable est que c’est probablement un Tadjik, aujourd’hui âgé de 55 ans, révèle levif.be

Viktor Bout

Si les choses se passent bien pour lui, Bout sera donc peut-être bientôt libéré. L’éventuelle libération de Bout a de quoi faire plaisir aux Russes qui ont toujours qualifié sa condamnation d’injuste. Et Bout est aussi un vétéran des services secrets du KGB, ce qu’à Moscou on oublie pas si facilement. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé dans l’entourage du président russe Vladimir Poutine. Il aurait même eu une photo de lui accrochée dans sa cellule. Un autre personnage influent qui ne l’a certainement pas oublié, c’est Igor Selshin, autrefois secrétaire et vice-premier ministre de Poutine, et qui a hérité du surnom de Dark Vador du Kremlin. Cet oligarque richissime avait, à l’époque soviétique, servi comme traducteur militaire en Angola, tout comme Bout. De quoi créer des liens.

Viktor Bout, seigneur de guerres

Ce trafiquant d’armes russe, dont l’histoire a inspiré Hollywood, a été condamné à 25 ans de prison aux Etats-Unis en 2012. Il avait été arrêté en Thaïlande suite à rocambolesque arrestation. Récit.

Le 6 mars 2008 aurait pu être un jour comme les autres dans la vie de Viktor Bout. Arrivé dès l’aube à Bangkok, l’homme d’affaires moscovite a pris ses quartiers dans une suite du Sofitel Silom, un palace cinq étoiles. Dans l’ascenseur qui le mène à la salle de réunion du 27e étage, sur le coup de 15 heures, il jette un regard mortifié vers le miroir: 130 kilos pour 1,80 mètre. Sa silhouette s’est arrondie comme le ventre de ces énormes avions-cargos Iliouchine qui ont fait sa fortune. Il a promis à sa femme, Alla, de profiter de son séjour en Thaïlande pour visiter les cliniques spécialisées dans l’amincissement. Si la discussion avec les Colombiens ne s’éternise pas, il pourra même aller transpirer au sauna de l’hôtel avant de dîner devant la télé.

Viktor Bout

Il a fallu six mois pour en arriver là. Six mois à échanger des mails avec le type des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) qui se fait appeler « el Comandante ». Viktor Bout, lui, a opté pour le pseudonyme de Boris. La transaction est censée porter sur plusieurs millions de dollars de « matériel agricole », à savoir 5 000 fusils d’assaut AK 47, des lance-roquettes antichars et 800 missiles sol-air, dont une centaine livrables immédiatement, par parachutage, au-dessus de la jungle. L’homme de confiance de Bout, Andrew Smulian, a rencontré les acheteurs à trois reprises, aux Antilles néerlandaises, au Danemark, en Roumanie. Il en a mis sa main à couper : les soldats d’el Comandante sont d’authentiques guérilleros. Erreur fatale.

Dans le monde sans foi ni loi des trafiquants d’armes, l’arrestation de Viktor Bout résonne comme un mortier de 82 millimètres. Recherché depuis 2002 par Interpol, dénoncé par les experts de l’ONU pour son rôle majeur dans les conflits en Sierra Leone, en Angola, et ses accointances avec le dictateur libérien Charles Taylor, ce Russe au visage de molosse décoré d’une moustache, est un mythe.

Le jour de son arrestation, les Américains ont voulu embarquer Viktor illico dans une voiture, direction l’aéroport. « Impossible, messieurs, je n’ai pas de visa ! », a lâché l’homme aux multiples passeports. Rire de Sergueï. C’est à ce style d’humour, froid comme une lame, que l’on distingue les seigneurs du désastre de leurs valets. Viktor Bout est un personnage de roman, né le 13 janvier 1967, à Douchanbe (Tadjikistan). Gamin, il manie les langues étrangères comme d’autres assemblent les Lego. A 12 ans, il parle le persan et l’espéranto. Il poursuit ses humanités à l’Institut militaire des langues étrangères, le vivier de l’espionnage soviétique, quand, en 1991, l’empire implose.

« Et là, du jour au lendemain, toutes les armes entassées par l’Armée rouge pour préparer la Troisième Guerre mondiale se sont transformées en de vulgaires marchandises », souligne Vadim Kozyulin, professeur au Centre d’études politiques de Moscou.

Expédié en Angola comme traducteur, Bout achète pour une bouchée de pain, à crédit, ses premiers avions : deux Antonov et un Iliouchine en passe d’être réformés. Des épaves volantes qu’il confie à des pilotes russes en déshérence, prêts à se poser sur un rebord de fenêtre contre une paie de 7 000 dollars. Très vite, sa compagnie aérienne, Air Cess, ouvre des filiales aux quatre coins de l’Afrique. Viktor Bout livre des fleurs, des aspirateurs, du poulet congelé et des armes. Surtout des armes. Grâce à lui, l’AK 47, la légendaire kalachnikov, devient le premier produit d’exportation de l’ex-URSS, avec la vodka et les écrivains suicidaires. Viktor Bout se joue des embargos, des réglementations aériennes. Ses avions jonglent avec les immatriculations. Dans sa grandeur d’âme, il n’hésite jamais à dépanner les factions rivales d’un même conflit.

Le dictateur zaïrois Mobutu est en difficulté ? Il l’évacue à bord de l’un de ses appareils, en oubliant qu’il arme les rebelles à ses trousses. Surnommé le « Bill Gates des trafics » par un ancien ministre britannique, son ombre plane sur toutes les guerres ethniques du continent africain. Et même au-delà.

Voilà pourquoi les retournements de l’Histoire glissaient sur son business comme la balle du sniper sur la cuirasse d’un char d’assaut. Après le 11 septembre 2001, quand George Bush divise l’humanité en pro et anti-Américains, Bout fait exception: il est des deux côtés du manche. En 2002, Interpol, qui le soupçonne d’avoir blanchi 325 millions de dollars payés en diamants par les rebelles angolais, lance contre lui un mandat d’arrêt international. Ça ne l’empêche pas de se balader en toute quiétude à Moscou.

Andreï Samokhine, un copain de jeunesse, se souvient de l’avoir vu débarquer, en chemise hawaïenne, pour la fête 2007 des anciens de l’Institut militaire. Avant de monter dans le bateau-mouche, sur la Moskova, il n’a pas pu s’empêcher d’interroger l’ami Viktor: les rumeurs sur son compte, le film, l’ONU, Interpol? Bout l’a rassuré dans un grand éclat de rire : « Si l’on voulait vraiment me retrouver, on m’aurait retrouvé depuis longtemps! »

Par Gédéon Ngango