Un universitaire nous explique pourquoi l’on devrait davantage considérer le coût environnemental des aliments que l’on consomme.

• Le coût environnemental des aliments est déterminé par leur « voyage » jusqu’à nos assiettes et la façon dont ils ont été produits à l’origine, selon une étude publiée par notre partenaire The Conversation.

• Ainsi, très paradoxalement, l’agneau néo-zélandais consommé en France a moins d’impact sur l’environnement que l’agneau produit localement.

• L’analyse de ce phénomène a été menée par Sean Beer, maître de conférences en Agriculture à l’Université de Bournemouth (Angleterre).

Je souhaiterais que les gens envisagent la nourriture qu’ils mangent non seulement du « champ à l’assiette » mais aussi de la « graine à l’âme ». J’ai étudié comment rendre l’approvisionnement alimentaire mondial durable depuis plus de 30 ans, on me demande donc souvent quel est le meilleur régime alimentaire pour la planète.

Le problème, c’est que la plupart des gens veulent des réponses faciles à cette question. Malheureusement, il n’y en a pas !

Par exemple, j’ai souvent pensé à devenir végétarien pour des raisons éthiques et environnementales. Mais je n’ai pas envie de manger à la place de la viande du soja ou d’autres aliments importés de l’autre bout du monde, du fait des émissions carbone générées pour les acheminer.

Et si nous devons reconnaître le dilemme éthique que représente le fait de manger des animaux, qu’en est-il des animaux du sol ?

Pourquoi écraser, trancher et découper en dés des mini-bêtes dans les exploitations agricoles est acceptable, mais pas lorsqu’il s’agit de grosses bêtes ? Si je suis cette logique jusqu’au bout, dois-je devenir un « fruitarien », qui ne mange que des fruits bio cultivés près de chez lui ?

Un défi plein de contradictions
Lorsqu’on cherche à suivre un régime durable, on se heurte rapidement à de nombreuses contradictions. Un concept comme celui des « kilomètres alimentaires » peut être alors utile pour déterminer l’empreinte carbone de certains aliments dans nos assiettes. C’est simple à comprendre, mais cela peut aussi n’avoir aucun sens. Après tout, il ne s’agit pas seulement de la distance parcourue, mais aussi du coût environnemental de ce voyage et de la façon dont il a été produit à l’origine.

On peut, par exemple, défendre l’idée que l’agneau néo-zélandais consommé en France a moins d’impact sur l’environnement que l’agneau produit localement.

La production d’agneau néo-zélandais implique moins d’intrants « riches » en carbone tels que les engrais. Il existe également un système de transport très efficace en Nouvelle-Zélande, qui repose sur des fermes plus grandes et des camions plus gros. Il permet de produire et de transporter plus de viande avec moins de terre et moins d’émissions. Il en résulte une réduction des gaz à effet de serre par kilogramme de viande.

L’agneau néo-zélandais est commercialisé dans le monde entier. Klanarong Chitmung/Shutterstock (via The Conversation)

Ce n’est toutefois pas parce que c’est compliqué qu’il faut abandonner. De toute évidence, manger moins de viande et davantage de fruits et de légumes aurait des bénéfices sur notre santé et sur la planète. Se nourrir avec des produits de saison, des produits frais directement venus des champs, est également pertinent, notamment car cela reconnectera les consommateurs avec les produits et la terre. Cela nous force à nous confronter au fait que toutes les cultures ne poussent pas au même moment dans l’année. Les fraises sont un cadeau de l’été, les légumes verts du printemps.

Mais à quoi ressemble un régime de saison pour quelqu’un qui vit en climat tempéré, comme celui de la France ? Avec l’aide de la technologie, nous pouvons faire pousser en France de nombreuses cultures exotiques qui, en théorie, ne pourraient pas pousser dans un tel climat. Le problème est qu’une grande partie de cette activité fait appel à des technologies gourmandes en carbone, comme les serres chauffées au gaz ou les champs couverts de rangées de tunnels en plastique.

À quoi ressemblerait notre alimentation si nous cultivions tous nos aliments en respectant les saisons naturelles et le climat de notre région ?

La saisonnalité à l’épreuve de l’hiver
À cet égard, l’été est formidable. Nous pouvons nous régaler d’un large éventail de fruits et de légumes et suivre facilement les conseils de santé qui nous recommandent de consommer une grande variété d’aliments. L’été français offre ainsi des fraises, des radis, des tomates ou des myrtilles.

Salades, puddings d’été… le vert aussi est à l’honneur. De nombreuses récoltes peuvent d’ailleurs être conservées pour l’hiver à venir. Et pourtant, en été, lorsque la plupart de nos produits naturels sont abondants, la France importe encore une grande partie de sa nourriture.

À l’approche de l’automne, à moins que les cultures ne soient protégées par une serre ou un tunnel, beaucoup des denrées alimentaires les plus délicates commencent à dépérir. Nous devenons alors dépendants de racines – comme la betterave, la carotte, la pomme de terre, le rutabaga et le panais – et des brassicacées feuillues – comme le chou de Bruxelles, le chou, le chou-fleur et le chou frisé. Sans oublier les poireaux et les bettes à carde ! C’est alors le moment de cultiver ce que les Danois appellent « l’hygge », un art de vivre qui permet de rester positif lors des longs hivers. En créant par exemple une ambiance conviviale et chaleureuse à base de ragoûts, de soupes et de bouillons réconfortants.

L’automne, la période des brassicacées et des racines.

Les choses deviennent plus austères à mesure que l’hiver avance. C’est l’une des raisons pour lesquelles nos ancêtres organisaient des fêtes au moment du solstice d’hiver, pour se donner du courage en attendant le printemps. Sans compter qu’à la fin du mois de février et courant mars, alors que nous commençons à penser aux jours plus doux, s’étend une période de creux (« la soudure ») : les cultures d’automne qui ont survécu à l’hiver commencent à décliner ; les cultures printanières ne sont pas encore là.

Le chou brocoli à jet violet – aussi connu sous le nom d’asperge du pauvre – fait partie des quelques délicatesses prêtes à être consommées en hiver. Il est également possible de conserver les aliments d’une saison à l’autre, mais cela nécessite de l’énergie. Il existe des savoir-faire traditionnels qui nécessitent moins d’énergie, mais réclament des connaissances et du temps, un bien de plus en plus rare.

NOTRE DOSSIER « ALIMENTATION »

Combien de personnes font en effet des bocaux avec leur surplus de fruits et légumes ?

Consommer des aliments locaux de saison en grande quantité tout au long de l’année implique de restructurer les systèmes de production alimentaire et les chaînes d’approvisionnement traditionnelles.

Celles-ci ont été mises à mal par la concentration de l’offre alimentaire entre les mains de quelques acteurs. L’hiver met à l’épreuve notre capacité à préserver les richesses de l’été et de l’automne, et le printemps nous soulage avec ses artichauts, pommes de terre nouvelles, rhubarbe, roquette, oseille et épinards. Puis le cycle recommence.

Encore une fois, s’approvisionner de façon réellement durable n’est pas un jeu d’enfant. Il faut pour cela faire revivre les connaissances et les processus culturels que les supermarchés nous ont fait oublier. Mais les avantages d’un approvisionnement alimentaire local et saisonnier sont grands pour la nature et notre santé. Renouer avec la terre et ses rythmes saisonniers fait du bien à tous.


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